par Eric A. CAPRIOLI, Avocat à la Cour de Paris, Docteur en droit, Membre de la délégation française aux Nations Unies sur le commerce électronique, suite à la LOI n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique.

La lettre recommandée électronique (LRE) est un instrument utilisé dans les notifications en général et plus spécifiquement chaque fois qu’un texte mentionne l’envoi d’une lettre recommandé avec ou sans avis de réception. Donc, une multiplicité des cas d’usage : mise en demeure, exercice d’un délai comme pour la rétractation, résiliation, convocations diverses… Son rôle dans la vie économique et sociale touche tous les secteurs d’activité et tout le monde. La LRE assure la sécurité et la confiance dans les relations commerciales, administratives et entre les individus.

Consécrations législatives de la LRE

L’équivalent électronique de la lettre recommandée a été consacré dans notre droit avec l’ordonnance du 16 juin 2005 qui a créé un nouvel article 1369-8 dans le code civil, complété par le Décret 2011-144 du 2 février 2011 et le Décret n° 2011-434 du 20 avril 2011 relatif à l'horodatage des courriers expédiés ou reçus par voie électronique pour la conclusion ou l'exécution d'un contrat. Or, cette ordonnance, conformément à la Loi n°2004-575 pour la confiance dans l’économie numérique, avait circonscrit son domaine d’application à la formation et à l’exécution des contrats.

Par la suite, la LRE a également été intégrée dans la loi ALUR du 24 mars 2014 modifiant la loi du 10 juillet 1965 sur la copropriété et complétée par le Décret n° 2015-1325 du 21 octobre 2015 relatif à la dématérialisation des notifications et des mises en demeure concernant les immeubles soumis au statut de la copropriété des immeubles bâtis. De même, pour les relations avec l’administration, l’Ordonnance n° 2014-1330 du 6 novembre 2014 relative au droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique prévoit la possibilité de recourir à une LRE dans certaines circonstances. Bref, trois régimes distincts pour les LRE alors qu’il n’y en a qu’un dans l’environnement papier !

Reconnaissance dans la jurisprudence

La Cour d’Appel de Paris dans un arrêt du 17 juin 2016 (15/01954) a jugé valide la notification de la rétractation exercée dans le cadre d’une vente immobilière suite à l’envoi d’une lettre recommandée électronique. Un agent immobilier, mandaté par le propriétaire, avait vendu le bien. Or, l’un des acquéreurs s’était rétracté de cette vente en ayant adressé à l’agent un courrier recommandé électronique avec AR par lequel il l’informait de sa volonté de se rétracter de la vente litigieuse. Cette personne avait rapporté la preuve du dépôt de ce courrier dont les termes permettent de constater les noms du destinataire et de l’expéditeur, ainsi que la date de dépôt. Selon la Cour, "il n'est nullement établi que cette preuve soit fausse ou ait été établie par complaisance ou pour les besoins de la cause en appel, étant observé qu'il est joint à cette preuve un courrier électronique de 'La Poste' (…) confirmant ces éléments". Cette personne "a exercé valablement et efficacement son droit de rétractation prévue par les dispositions susvisées, cet exercice emportant ainsi l'anéantissement du contrat de vente litigieux".

Que dit la loi pour une République numérique ?

L’article 93 de la Loi sur la République numérique du 7 octobre 2016 (Loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique) consacre une nouvelle formule de l’envoi recommandé électronique. Un nouvel instrument est né. Désormais, la LRE est unifiée ; elle est régie par un seul texte : l’article L. 100 du Code des Postes et des Communications électroniques (CPCE). Elle abroge l’article 1127-5 du Code civil et s’applique à la conclusion et l’exécution du contrat, ainsi qu’à tous les usages, et ce y compris les notifications dans les relations administratives (modification du code des relations entre le public et l’administration).

Deux éléments sont fondamentaux : d’une part, "l’envoi recommandé électronique est équivalent à l’envoi par lettre recommandée, dès lors qu’il satisfait aux exigences de l’article 44 du règlement (UE) n° 910/2014" du 23 juillet 2014, d’autre part, "dans le cas où le destinataire n’est pas un professionnel, celui-ci doit avoir exprimé à l’expéditeur son consentement à recevoir des envois recommandés électroniques". Mais l’al. 3 de l’article L. 100-I prévoit également, à l’instar de ce que faisait l’ancien article 1369-8 du code civil, la possibilité d’un envoi recommandé hybride, c’est à dire envoyé par voie électronique, imprimé sur papier et acheminé par voie postale classique.

Modalités de la LRE

Elles seront précisées par un décret qui établira les modalités d’application de l’article L. 100-II. du CPCE. Ces exigences porteront sur l’identification de l’expéditeur et du destinataire, la preuve du dépôt par l’expéditeur, et du moment de ce dépôt ; de la preuve de la réception par le destinataire et du moment de cette réception ; l’intégrité des données ; de la remise de la remise imprimé de la LRE. Il s’agira également de préciser les informations que le prestataire d’un envoi recommandé électronique devra porter à la connaissance du destinataire et enfin du montant de l’indemnité forfaitaire qui sera due par le prestataire en cas d’engagement de sa responsabilité (retard de la réception, perte, altération ou modification frauduleuse des données transmises.

Sanctions

L’article L. 101 du CPCE apporte une nouveauté importante : "est puni d’une amende de 50.000 euros le fait de proposer ou de fournir un service qui ne remplit pas les exigences fixées à l’article L.100 dans des conditions de nature à induire en erreur l’expéditeur ou le destinataire sur les effets juridiques de l’envoi."

Un des grands mérites de cette loi consiste à étendre le champ d’application de la LRE qui sort du Code civil et à la mettre en conformité avec le nouveau règlement européen. L’unité de la LRE est enfin retrouvée, comme dans le papier !